Le coût de la déchéance

arton4721La déchéance de nationalité accapare déjà depuis des semaines, et ce n’est pas fini, le débat politique : tel est le jeu auquel jouent le président de la République et le Premier ministre avec la Constitution. Plus on en parle, et moins on débat de l’état d’urgence, mais aussi du fonctionnement de l’Europe, des conséquences du chômage et de la réforme du Code du travail ou encore de la politique à l’égard des réfugiés et des Roms. Pour autant, n’allons pas croire que cette mesure symbolique soit dépourvue de réalité. Qu’on la réserve aux Français binationaux ou pas, au risque de légaliser la production d’apatrides, elle vise à accréditer l’idée d’un terrorisme étranger à la nation. Il y aurait de vrais Français, et d’autres qui le seraient moins. Ce n’est donc pas un hasard si l’idée est empruntée à l’extrême droite.

Que les terroristes français deviennent des corps étrangers aura ainsi des effets bien réels sur le corps social. En pesant inégalement sur une partie d’entre nous, elle précariserait la nationalité. Car on s’en doute : comme d’habitude, Français musulmans, habitants des quartiers populaires et enfants d’immigrés seront les premiers suspects ; une nouvelle fois, on leur fera sentir qu’ils sont moins français que d’autres, qu’ils ne sont pas « chez eux » et qu’ils ne viennent pas de « chez nous ». C’est ainsi que cette nationalisation symbolique de la menace terroriste contribuerait effectivement à la racialisation de la nation. Bref, ce serait constitutionnaliser la politique d’« apartheid » dont Manuel Valls affecte de s’inquiéter alors qu’il en est l’un des responsables.

Nul ne croit à l’efficacité de cette réforme pour lutter contre le terrorisme – pas même ses promoteurs. Certes, il y aura des politiques pour résister à cette dérive. Pourtant, elle risque d’être adoptée. En effet, ce n’est pas seulement l’exécutif qui pèse sur les parlementaires ; ce sont aussi les sondages d’opinion. En particulier, il est des députés qui peuvent craindre de perdre la faveur de leurs électrices et électeurs s’ils ne vont pas dans le sens du vent. Bref, il n’est pas sûr que ces politiques s’apprêtent à voter selon leurs principes – et selon les nôtres. Nous allons donc les y aider. En effet, en vertu de notre engagement contre le racisme et donc contre les politiques de racialisation, nous ne pouvons rester les bras croisés. Nous souhaitons que voter cette réforme constitutionnelle soit coûteux dans les urnes. Nous voulons que nos représentants aient plus à gagner qu’à perdre en décidant d’écouter leur conscience politique.

C’est pourquoi nous nous souviendrons du choix de chaque parlementaire, et nous allons le répéter à chaque occasion – en particulier à l’heure des prochaines élections législatives. Nous voterons et nous appellerons à voter contre celles et ceux qui auront voté pour l’extension de la déchéance de nationalité. Nous ne nous laisserons plus intimider par la logique du vote utile. Nous nous engagerons, même au deuxième tour, contre les parlementaires qui s’apprêtent à laisser à leurs successeurs un arsenal juridique aussi dangereux.

Il faudra compter avec nous. L’enjeu est historique. Parlementaires, ne raisonnez pas à court terme, car nous aurons la mémoire longue. Constitutionnaliser ou légaliser l’extension de la déchéance de nationalité aux Français de naissance aurait un prix pour notre pays. Aussi ferons-nous en sorte que le coup de la déchéance ait un coût politique – pour vous aussi. Vous comptez sur nos voix ? Nous comptons sur les vôtres.

Pour signer cet appel, cliquez ici : Parlementaires, ne signez pas l’extension de la déchéance de nationalité.

Associations signataires avec le réseau Reprenons l’initiative contre les politiques de racialisation,reprenons.info :

ASEFRR (Association solidarité Essonne familles roumaines et roms) ;
ATMF (Association des travailleurs maghrébins de France) ;
CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France) ;
CEDETIM / IPAM (Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale) ;
CRI (Coordination contre le racisme et l’islamophobie) ;
CRAN (Conseil représentatif des associations noires) ;
FASTI (Fédération des associations de solidarité avec tou-te-s les immigré-e-s) ;
Femmes plurielles ;
Fondation Frantz Fanon ;
FUIQP (Front uni des immigrations et des quartiers populaires) ;
Les Indivisibles ;
MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples) ;
Sortir du colonialisme ;
UJFP (Union juive française pour la paix) ;
La Voix des Rroms…

 

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Le réseau Reprenons l’initiative contre les politiques de racialisation, avec de nombreuses associations engagées contre le racisme, lance un appel aux parlementaires, à l’occasion du premier vote des députés sur l’article 2 de la réforme constitutionnelle, pour les prévenir du coût électoral d’un vote pour l’extension de la déchéance de nationalité. Cet appel est ouvert à la signature en ligne.